Découvrez le sentiments d’abandon, de dépendance affective, et de blessure de rejet Marine.
Lettre à ma maman,
Comme j’aimerais me souvenir de toi comme ma maman, mais tu n’es que ma mère.
« Maman », c’est affectueux, c’est de la douceur et de la chaleur.
Ma mère, tu n’as pas été ma maman.
Je n’ai aucun souvenir de ton amour, de ta protection, de ta chaleur, de tes mots, de ta tendresse.
Tu es froide et énervée tout le temps. Tu ne nous élèves pas, tu ne nous dit rien, tu passes ton temps à te plaindre d’avoir épousé papa, d’avoir eu des enfants (tu dis que tu aurais mieux fait d’élever des cochons, parce qu’au moins à la fin on les mange), de te retrouver dans une belle-famille que tu n’aimes pas.
Bébé, je ne sais pas, mais plus grande, les seules fois où tu m’as touchée c’était en voiture où tu t’agrippais à moi jusqu’à me faire mal parce que tu avais peur, ou alors lorsque tu plaquais sur mon front une mèche de cheveux avec tes doigts mouillés de ta salive qui me dégoûtait.
Tu me disais que je ressemblais à mes tantes paternelles que tu n’aimais pas, tu m’interdisais de les aimer.
Lorsque j’ai eu mes premières règles, tu étais tellement une étrangère impudique que je les ai cachées comme j’ai pu pendant des mois. Je ne voulais pas être une femme comme toi.
Tu ne m’as rien appris de la féminité et à l’adolescence, j’avais honte de toi.
Tu buvais et sentais très mauvais. Tes robes tâchées de sang menstruel me dégoûtaient.
Tu as violé la première lettre d’amour que j’ai reçue, tu as sali mon intimité.
Je ne t’aimais pas parce que tu ne m’aimais pas.
Tu n’étais aux petits soins avec moi que lorsque j’étais malade et que je dormais dans votre lit.
Là, tu t’occupais très bien de moi, tu me mettais des oreillers, me préparais des petites soupes.
Le vrai dernier souvenir que j’ai de toi c’est après la mort de papa.
Je t’avais invitée à manger chez moi et nous sommes allées nous promener sur le port.
C’est la seule fois où je t’ai regardée autrement, je t’ai regardée comme une femme qui aguichait les hommes et j’ai eu de la peine pour toi.
La dernière fois que tu m’as appelée c’est parce que je te devais de l’argent et nous nous sommes disputées.
Et puis tu es morte.
J’aurais aimé t’aimer beaucoup ma maman.
Ta fille.
Mon cher papa,
J’ai porté longtemps la culpabilité d’avoir participé à ton euthanasie barbare.
Ce n’est pas tant ton image que je garde, mais ta voix, tes paroles qui m’encourageaient à être intelligente, parce que c’était une valeur primordiale à tes yeux.
Je t’admirais dans les yeux des autres qui disaient de toi que tu étais très gentil, très travailleur, très tout.
Tu m’as dit un jour que la patience était une grande vertu. Je n’ai cessé toute ma vie d’être complètement impatiente.
J’avais du mal à accepter ta soumission.
Tu voulais tellement t’intégrer à la société française que j’ai détesté cette société.
Tu étais tellement préoccupé par ton travail et ta volonté d’être reconnu que tu n’as pas vu venir l’ampleur du désastre de ta propre famille, celle que tu avais engendrée.
Tu voulais avoir un garçon, culture sicilienne.
Je suis née avant ce garçon et, même si je pense que tu m’aimais, je n’avais pas comblé ton désir.
Tu avais une tendresse particulière pour moi, je le sais, et moi, j’avais beaucoup d’amour pour toi.
J’ai tout essayé pour t’intéresser … jusqu’à tenter d’être ton fils.
Toi aussi, tu faisais comme maman, tu étais très affectueux lorsque j’étais malade.
A vous deux, vous m’avez donné le goût d’être tout le temps malade, parce que là, vous vous occupiez bien de moi. J’avais droit à des mots gentils, des petits surnoms, des attentions.
Je pense que tu étais prisonnier d’une culture et de ta condition familiale de « petit dernier » qui obéit toujours aux plus grands et qui ne veut pas les décevoir.
Tu obéissais à une règle et du coup, tu n’étais pas présent pour tes enfants.
J’ai appris plus tard que maman qui buvait avait voulu se désintoxiquer mais que tu avais refusé par peur que les autres le sachent.
Tu n’étais pas des nôtres, trop préoccupé à être des leurs.
Papa, l’une des rares choses que tu m’as appris ce sont les tables de multiplication que tu me faisais réciter inlassablement.
A mon âge avancé, je les connais toujours par cœur, elles me relient toujours à toi, comme le calcul mental. Et d’ailleurs, encore à l’heure actuelle quand je vais mal, je compte dans ma tête.
Quand j’ai compris que tu étais malade au point d’en mourir, j’ai tout mis de côté, famille, enfants, pour venir m’occuper de toi alors que maman ne supportait pas de t’approcher mourant.
Je t’ai lavé, changé tes couches, je t’ai cueilli des fleurs en pleurant pour te les offrir le jour de la fête des pères en te disant que je t’aimais, quelques jours avant que tu meures.
J’ai été dévastée par ta mort et maintenant que j’ai dépassé l’âge de ta mort (longtemps j’ai pensé que je ne vivrais pas plus longtemps que toi), je ne retiens que tes mots sur la patience. J’aimerais apprivoiser cette valeur.
Papa, c’est dommage que tu n’ai pas pu sentir tout l’amour que j’avais pour toi.
Ta fille, à défaut d’être ton fils.